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Patrice Trigano dans Actualitté - Par la très belle Félicia-France Doumayrenc (16.06.15)

 

'On ne sort jamais indemne d’une plongée dans l’écriture'

Par Félicia France Doumayrenc

Capture d’écran 2015-06-16 à 17.18.27.png« On ne sort jamais indemne d’une plongée dans l’écriture. » C’est par cette phrase si juste dans son interpellation que se termine le roman de Patrice Trigano : L’oreille de Lacan. Pourtant, le début d’un livre naît avec la première phrase de celui-ci. Telle l’ouverture d’un opéra, elle donne le ton, ouvre le souffle, fait respirer le lecteur au rythme de silences ponctués.

Un roman fait entrer celui-ci dans un imaginaire autre que le sien. Ce livre entraîne dans un chemin plus tortueux puisque l’auteur nous livre un roman dans le roman et pose, ainsi, le travail de l’écrivain, son imagination, sa plume.

 

En effet l’auteur, un des personnages de Patrice Trigano et dont nous ne saurons jamais le nom, décide un jour d’écrire, d’inventer la vie de Samuel Rosen. Homme qu’il observe dans le petit cercle germanopratin et qui est devenu, pour lui « une énigme vivante », justement parce qu’il en épie les moindres faits et gestes.

 

Samuel Rosen esthète proche de des Esseintes personnage de Huysmans dans À rebours, est un homme qui semble d’une autre époque.

 

Non loin de l’ermite, ce dandy névrosé, semble atteint d’une névrose obsessionnelle dont il dit « ces manies, progressivement apparues dans ma vie comme de faux amis sous prétexte de m’aider, aliènent mon quotidien ; mais je suis loin d’être hostile à cette mise sous tutelle ». De même, il est en proie à d’insurmontables problèmes sexuels et a pour regret de ne pas avoir été sur le divan de Lacan à vingt ans. Personnage solitaire, il vit en en l’unique compagnie de son majordome qui, lui sert aussi, d’homme de ménage, de maître d’hôtel, de cuisinier, etc.

Tentant d’apaiser ses angoisses, il s’autorise à écrire un livre dont il ne doute pas de la puissance.

 

Dans ce but, il part faire une ascension du Mont Ventoux sur les traces de Pétrarque, fait un pèlerinage à Rocamadour en mettant ses pas dans ceux de Francis Poulenc, tout en ayant en tête les phrases de Lacan comme si celles-ci lui servaient de béquille et l’aidaient à vivre.

 

David Rosen, homme érudit puise sa langue dans celle des auteurs classiques et contemporains (on croise tout au long du récit des références tant à Maupassant, Poe, Bataille, Breton, etc.) et dans sa bibliothèque, car comme il l’écrit « bibliophile insatiable, j’ai engouffré une large partie de la fortune héritée de mon grand-père dans la constitution d’un ensemble qui compte plus de douze mille volumes

 

Livre très dense, remarquablement bien écrit, empli de références tant sur la littérature, la peinture, la musique parfois délirant : Rosen croyant un instant que Nerval était le nègre de Baudelaire, il ne se doit pas d’être, plus encore, dévoilé. 

 

L’intrigue intéressante est un prétexte pour faire comprendre au lecteur les subtilités de la création. Par une pirouette, lors d’un échange de correspondance entre Rosen et l’auteur, Patrice Trigano induit cette question. 

 

Qui est Rosen ? Qui est l’auteur ? Sont-ce deux personnages différents ?  

 

Ce dernier ne sombre-t-il pas, à son tour, dans une espèce de conduite de répétition ? 

 

Et, c’est cette phrase qui pousse à s’y interroger : « La psychologie du modèle a déteint sur son biographe. »

Il faut lire ce roman dense et envoûtant. Tout d’abord parce qu’il est remarquablement bien écrit et surtout parce qu’il transporte dans un temps quasi suspendu.

 

L’oreille de Lacan est un écrit sur la peinture, l’écriture, l’esthétisme, la névrose, sur Lacan, sur la psychanalyse, sur la quête de soi et sur l’écriture en elle-même. 

 

Patrice Trigano signe là un des meilleurs livres de cette année, et pousse à écrire, en le paraphrasant qu’on ne sort jamais indemne d’une plongée dans un roman, en particulier dans celui-ci dont le titre L’oreille de Lacan, à lui seul, est porteur de métamorphoses.

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