Le texte de Saulterre, curateur de Yiming Min, sur la première exposition du sculpteur chinois en France (décembre 2014)
L'émotion de l'instant
"Il est difficile, au premier abord, de saisir l'expression d'une statue ; mais une fois qu'on l'a saisie, on y pense longtemps, on y revient souvent et avec un sentiment de jouissance intime qui est presque du bonheur." Stendhal
Quel est le lieu où se croisent l'oeuvre et le geste ?
La sculpture de Yiming Min laisse la place à un grand commentaire, à une métaphore filée de l'histoire de la sculpture, comme on l'aime, à une pluie de références et de comparaisons, éveillées tant par la virtuosité matérielle du sculpteur que par son extrême imagination thématique.
Peut-être faudrait-il renoncer un moment aux canons du commentaire pour approcher un peu, dans notre diction, cette gestique suprêmement maîtresse d'elle-même, et tenter de donner au texte une valeur équivalente de signe, illuminant les signes de cette oeuvre ; et obéir à Baudelaire, qui nous exhorte, pour parler d'un poème, à écrire un autre poème. Peut-être faudrait-il, au-delà du signe, proposer un geste ayant valeur de compréhension et d'étude aussi pratique que cette oeuvre forte et quotidienne. Ce qui apparaît, au-delà de la vanité des mots, c'est l'enjeu d'une vie, où le chemin de l'intention, de la part inconnue venant de l'oeuvre elle-même et de la part venant de l'être, se croisent, c'est l'enjeu quotidien et obligatoire d'une vie qui se livre mystérieusement.
Que lit-on dans ces gestes premiers ? Une étrange récurrence, une récurrence non pas de tics esthétiques, de traces de projets globalisants, mais une récurrence de formes d'âme, qu'il est presque impudique de décrire, une pointe d'humour avec ce personnage croisant ses jambes, de la brique constituant un heaume, des matières luxueuses coulant avec une force incroyable, des personnages purs et doucement classiques rappelant ceux de Bourdelle, guerriers allongés, personnages tentaculaires polychromes faits pour des idées que leur condition d'existence rend solitaires ou multiples.
Pourquoi est-ce à ce moment que du geste du sculpteur prend corps ce qui est le geste même de son être ; pourquoi est-il soudain et pourquoi cet instant dont on pourrait dire qu'il est abstraitement caractérisé, pourquoi est-il le vrai moment de la naissance ? Dans cette confrontation dialectique, qu'est-ce qui a sûre et pure valeur de sens ?
Au commencement de la sculpture, il y a tout cela, en réalité : car la réalité, elle est le geste de l'obéissance et de l'écoute, que vient contredire le geste de la force et de la volonté, au commencement de l'oeuvre de Yiming Min, avant que tout vienne au jour, il y a la gestation de ce combat et là, quelque chose s'illumine chez celui qui regarde, car le geste se produit en lui, et le voile se lève sur, ce que, chez le sculpteur, son âme donne à voir.
Saulterre Curateur de l'exposition de Yiming Min, Décembre 2014