ÉTÉ EN NORD-AVEYRON
Henri Atlan, un souffle d'éternité sur l'Aubrac
Rencontres Médecin, biophysicien, philosophe... il décrypte le Talmud aussi bien que le vivant, et se réfère à Spinoza.
Henri Atlan, chercheur infatigable, a été membre du comité consultatif d'éthique.
Venir évoquer la notion d'intemporalité sur l'Aubrac, en plein été, relève t-il du pari risqué ou d'une envie de symbiose avec un territoire où, dit-on, souffle un air d'éternité ? Henri Atlan ne se pose pas vraiment la question. Venu tout droit de Jérusalem où, à l'âge de quatre-vingt-un ans, il dirige encore le Centre de recherches en biologie humaine qu'il a créé, il arrive à ce chercheur infatigable d'oublier les nombreux virus qui peuvent attaquer l'humain pour s'évader en compagnie de Spinoza, le Talmud sous le bras. Médecin, philosophe et écrivain, cet esprit protéiforme pourrait-il être considéré comme un destructeur de mythes ? Sa réponse est celle de quelqu'un qui s'intéresse à la science avec conscience : "Oui et non". Car Henri Atlan s'efforce de comprendre les textes mystiques à la lumière de ses connaissances. L'éternité serait ainsi une partie de notre existence chaque fois que nous faisons quelque chose de l'ordre de l'intemporel. Une expérience mathématique, par exemple, qui se situe "hors du temps".
De manière plus concrète, on peut dire qu'Henri Atlan jette aux orties les croyances populaires, puisque, selon lui, les textes sacrés utilisent la raison "pour essayer de comprendre les choses. Un peu à l'image de la mythologie". La perspective d'un paradis post mortem s'éloigne donc inéluctablement, ce qui, d'ailleurs, ne semble pas perturber Henri Atlan dont la puissance de réflexion et la facilité avec laquelle il vient à bout des concepts les plus ardus lui procurent non seulement une vraie reconnaissance et une certaine gratitude chez les intellectuels, mais aussi, probablement, une réelle jouissance de vivre.
Faire des sciences pour être un philosophe
On pourrait, dans un souci de quotidienneté peut-être un peu décevant, se demander si ce scientifique qui réfléchit sur les questions d'éthique n'est parfois pas un peu déconnecté du réel. Il s'insurgera, alors, dans un sourire indulgent, en affirmant que, justement, "c'est ça le réel. Ce que nous arrivons à penser". Ses travaux, qui découlent de sa pensée, permettent en tous cas de mieux comprendre les questions de société, telles que le clonage, par exemple. C'est pourquoi il prétend volontiers qu'il n'est pas nécessaire d'être philosophe pour faire des sciences... mais que, à l'inverse, il est indispensable de faire des sciences pour prétendre au statut de philosophe, renouant ainsi les fils avec les penseurs de l'Antiquité qui tentaient d'appréhender la marche du monde.
Ce spécialiste des anticorps, qui se garde bien de dissocier l'âme de son support terrestre, pourrait aussi porter un regard plutôt pessimiste sur l'espèce humaine. Mais il s'en défend en rétorquant : "Pas du tout, regardez ce que nous avons fait". Et tant pis si c'est trop souvent sur fond de conflits et de passions. L'espérance humaine, qui veut se faire un petit coin de paradis sur Terre, semble bien être à ce prix.
Hugues Menatory
hmenatory@midilibre.com