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Rémy Brisson s'entretient avec Frédéric Bizard pour JOL Press (18 octobre 2013)

Capture d’écran 2013-10-21 à 15.11.34.pngENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC BIZARD

« Complémentaires santé : le scandale ! » : un secteur opaque

Ecrit par Rémy Brisson - publié le 18/10/2013

« Ce que j’essaie de faire, c’est avant tout de créer, à mon échelle, un débat public sur un secteur qui concerne chacun d’entre nous ». L’économiste de la santé Frédéric Bizard espère, par son livre, apporter un éclairage sur les complémentaires santé et sur un système qu’il juge inefficace, injuste et coûteux. Mais si le livre met en avant les incohérences de ce système, il propose aussi des solutions concrètes et des pistes de réflexion pour réformer le secteur.

JOL Press : Comment peut-on expliquer la généralisation des complémentaires santé, qui concernent désormais la quasi totalité des Français ?
 

Frédéric Bizard : Le système des complémentaires a persuadé la plus grande partie d’entre nous qu’il était absolument indispensable de souscrire à un contrat de ce type pour avoir un bon accès aux soins. Et cela sans que personne n’ait vraiment regardé si ces contrats étaient pertinents.

C’est un secteur qui sait faire du lobbying, pour que la puissance publique lui soit favorable. Pouvoirs publics qui entendent régler les problèmes d’accès aux soins en faisant en sorte de généraliser ces contrats à 100 % de la population. À cela s’ajoute aussi une très forte puissance médiatique.

Capture d’écran 2013-10-21 à 15.12.03.pngIl y a une sorte de mythe qui s’est développé dans la société française, qui voudrait qu’il soit indispensable de recourir à ce type de contrats, quels que soient son profil de risque et sa catégorie socioprofessionnelle.

JOL Press : Alors qu’en réalité, comme vous le développez dans votre livre, ces contrats ne sont que rarement pertinents ?
 

Frédéric Bizard : En moyenne, en France, le reste à charge, c’est-à-dire le montant après que l’assurance maladie ait financé les soins, est de 300 euros. On peut se demander si tous les Français ont besoin de s’assurer pour couvrir un reste à charge de 300 euros.

Dans notre système actuel, tout le gros risque est supporté par l’assurance maladie. Il y a bien sûr quelques soins coûteux, au reste à charge, notamment les soins dentaires.

Mais une très grande majorité des Français n’a pas de pathologie déclarée. Pour la majorité de ces personnes, dans l’organisation actuelle du système, il n’est pas nécessaire de souscrire à un contrat d’assurance maladie.

Capture d’écran 2013-10-21 à 15.12.20.pngJOL Press : L’objectif de votre livre est donc de dénoncer un système qui n’est finalement pas cohérent ?
 

Frédéric Bizard : Le but de ce livre, c’est tout d’abord d’essayer de mieux faire comprendre un système et un secteur économique qui est extrêmement opaque et très peu maîtrisé, aussi bien par les décideurs que par le grand public. Au point que certains décideurs sont convaincus que si on avait 100 % de la population avec une complémentaire santé, les choses iraient mieux. À la veille de la généralisation des complémentaires santé, il est important de se demander si c’est vraiment la bonne route. Ce que j’essaie de créer, c’est un débat public, sur un secteur qui touche chacun d’entre nous. La santé n’est jamais un sujet abordé lors des campagnes présidentielles, parce que traitée uniquement de façon technique, alors qu’il y a de vrais choix de société à faire. J’essaie de poser la problématique de la façon la plus accessible et objective possible.

Le deuxième point sur lequel je voulais attirer l’attention, c’est le volonté actuelle de donner aux assureurs complémentaires santé, en plus du simple rôle d’assureur, un rôle d’organisateur, de régulateur des soins.

Il y a par exemple le projet de loi Le Roux qui a été voté l’année dernière à l’assemblée puis au Sénat, avec des amendements, et qui doit repasser à l’automne, qui donne la possibilité aux assureurs, aux mutualistes en particulier, de faire des réseaux de soins, avec les médecins, les hôpitaux. C’est déjà fait avec les opticiens. C’est vraiment leur donner un rôle très actif. Encore une fois, il faut s’interroger : est-ce que cela va améliorer le système ou le détériorer ?

Capture d’écran 2013-10-21 à 15.12.35.pngJOL Press : Pour vous, le système actuel est injuste en plus d’être inefficace ?
 

Frédéric Bizard : C’est un système qui est en effet inefficace, dans lequel vous dépensez beaucoup et vous avez un reste à charge qui fait que vous pouvez en arriver à des renoncements aux soins. Une enquête CSA pour Europ Assistance vient de montrer que le renoncement aux soins concernerait un Français sur trois, ce qui donne un pourcentage parmi les plus élevés en Europe. Et cela concerne majoritairement les soins dentaires, secteur principalement géré par les complémentaires santé.

Le système est également injuste, tous les Français n’ont pas accès au même contrat complémentaire pour un même prix. Si vous êtes chômeur ou retraité, vous allez payer votre contrat de complémentaire santé beaucoup plus cher et pour une moins bonne couverture, que si vous êtes un cadre supérieur.

Dans les complémentaires, il y a deux mondes : les contrats individuels, supportés à 100 % par l’assuré, et les contrats collectifs, dont le coût est partagé avec l’employeur. Pour ces derniers, les contrats sont d’autant meilleurs que vous êtes dans une grande entreprise et à un niveau élevé dans la hiérarchie. Il faut également tenir compte du fait que ces contrats collectifs sont subventionnés avec 4 milliards d’argent public. On a ici une vraie injustice sociale. Cette généralisation dont on parlait tout à l’heure, elle va se faire avec de l’argent public.  

En plus de ça, aujourd’hui, le prix de ces contrats atteint un niveau rédhibitoire pour beaucoup de gens. Entre 2001 et 2006, les primes, les cotisations, ont par exemple augmenté de 50 % ! L’augmentation du prix des contrats est bien plus rapide que celle du pouvoir d’achat. Si les prix ont tant augmenté, c’est parce que les complémentaires santé, les mutuelles en particulier, n’ont jamais fait le travail de restructuration nécessaire pour prendre en compte notamment la révolution numérique. Elles ont augmenté systématiquement les cotisations dès qu’elles ont eu des charges supplémentaires.

Face à cette situation où le coût des complémentaire représente un problème pour beaucoup de Français, au lieu de faire un effort de leur côté, elles ont fait un lobbying intensif auprès des pouvoirs publics pour qu’ils fournissent une aide.

L’Etat a été d’accord pour un système de chèques santé donnés aux gens en fonction de leur situation. Encore, si le système était efficace, si l’on aidait les gens à souscrire à de bons contrats, cela pourrait être acceptable, mais ce n’est clairement pas le cas. On a demandé aucune garantie de qualité aux complémentaires, ou du moins elles ont refusé. Je pense que les contrats achetés avec de l’argent public doivent apporter une garantie de sécurité, une couverture suffisante.

couvBIZARD.jpgJOL Press : Concrètement, que pourrait-on faire à court terme pour améliorer ce système ?
 

Frédéric Bizard : Il y a des choses à faire à court terme pour rendre le système plus efficace, plus juste et moins coûteux. Il faut déjà rétablir une transparence et rendre ce marché véritablement concurrentiel, avec une régulation beaucoup plus efficace. Il est impératif que les tableaux des garanties soient lisibles par tous, que tout le monde puisse dans une premier temps voir si un contrat est nécessaire, et si oui, choisir le plus adapté à ses besoins, ce qui est pratiquement impossible aujourd’hui.

Il faut également sortir les tickets modérateurs du marché de l’assurance pour qu’ils redeviennent de vrais tickets de modération, destinés à responsabiliser les assurés. Ils doivent être supportés par tout le monde, sauf les plus démunis bien sûr, pour ne pas que ces derniers soient contraints à un renoncement aux soins. Les plus défavorisés pourraient donc continuer à bénéficier de la CMU complémentaire, qui les couvre à 100 % sans tickets modérateurs.

Par contre, pour les autres, le ticket modérateur n’est pas pertinent. Il est générateur de profits très importants pour les assureurs, qui peuvent très facilement calibrer la prime en y mettant le profit voulu. Les mutuelles essaient de faire en sorte de ne rembourser finalement que ça. Lorsque vous souscrivez à un contrat uniquement pour ne pas payer votre ticket modérateur, vous êtes sûr d’être perdant. Vous êtes sûr de payer plus que ce que l’on va vous rembourser.

Je préconise aussi dans mon livre de séparer les soins essentiels à la santé des soins non essentiels. Il faut distinguer l’assurance complémentaire de l’assurance supplémentaire. Les soins non essentiels doivent faire partie d’un autre marché qui est un système d’assurance supplémentaire.

Propos recueillis par Rémy Brisson pour JOL Press

Frédéric Bizard est économiste de la santé et travaille depuis plus de quinze ans dans ce domaine aux Etats-Unis et en Europe. Il dirige actuellement la société Salamati Conseil, société de conseil spécialisée sur le secteur de la santé. Il est par ailleurs maître de Conférence à Science Po Paris.

Son livre « Complémentaires santé : le scandale ! », est disponible aux éditions Dunod.

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